L’histoire singulière de Victor Vaissier, roi Makoko, dont
les cosmétiques seront vendus à l’international, inspire un court métrage
réalisé par l’association Zoom allure.
Victor Vaissier, roi Makoko
Article paru le dimanche 29 novembre 2015 dans La Voix du Nord, par Sophie Leroy endireplus@lavoixdunord.fr
L’événement est unique. Ce week-end de mars 1887, une
incroyable cavalcade du Congo est orchestrée à Roubaix par le savonnier Victor Vaissier, intronisé pour l’occasion
roi Makoko. Ces deux jours marquent le
lancement d’une étonnante carrière faite aussi d’extravagances qui auront
raison de son affaire.
« Dès onze heures du matin, l’extrémité du boulevard de
Paris présentait l’aspect d’une dépendance de Brazzaville. Les sauvages
habitants des tribus africaines arrivaient en groupes pressés : cannibales,
féticheurs, guerriers, armés de la zigaie ou du tomahawk, cavaliers drapés dans
leurs sécapés et faisant caracoler leurs mustawys chasseresses et amazones »,
écrit le journaliste du Journal de Roubaix.
On parle de 7 000 Lillois et 25 000 Belges, 72 groupes, 2
000 figurants à perruque, « haillés et coiffés par le costumier Millet de
l’Opéra de Paris ». « Nos yeux de gamins s’extasiaient devant tant de Congolais
vrais ou faux ! (…) On nous faisait connaître l’Afrique mieux que sur une carte
géographique en classe », reprend l’ouvrage, Roubaix au-delà des mers.
« Le roi approche, le roi approche. Un long murmure s’élève
au sein de la foule : c’est Makoko… Ah ! Makoko, on l’attendait ce gros prince
à la mine réjouie , lit-on encore dans le journal. A-t-il l’air à son aise !
Deux odalisques charment son ennui, et le bon prince se laisse charrier bien
doucement, envoyant au peuple de deux baisers, et le peuple l’acclame, car il
sait que la volonté royale de celui qui est venu à travers les océans rendre
visite à la grande cité du Nord est de voir pendant les deux jours de sa
présence à Roubaix le peuple en liesse à des divertissements sans nombre. »
Makoko, portant un arc et un carquois remplis de flèches de
toutes les couleurs, des plumes au front : l’industriel Victor Vaissier, en
justaucorps et collant.
Cette cavalcade est son idée.
À la création de l’entreprise par le père, la savonnerie
travaille le suint des toisons des moutons, transformé en savon noir pour
l’industrie textile. Mais Victor, le plus jeune des trois fils, sent monter
l’hygiénisme dans la société : le savon entre dans les maisons. « Victor a les
idées et l’ambition, décrit Gilles Maury, enseignant à l’école d’architecture
de Lille et auteur de l’ouvrage Le Château Vaissier… C’est lui qui donne
l’impulsion à l’entreprise. » Et à leur produit-phare, le savon du Congo.
Pourquoi le Congo ? « Il est très peu probable qu’il ait
voyagé, avance Gilles Maury. Victor Vaissier a reçu l’éducation d’une petite
bourgeoisie locale et s’il avait voyagé, il l’aurait dit ! Il se nourrit de son
imaginaire, des journaux. Victor Vaissier est fasciné par les grands de ce
monde. C’est pourquoi il nomme ses savons, prince d’ici, princesse de là-bas.
Musicien, il interprétait Si j’étais roi. »
Plus grande que la caravane du Tour de France
Roubaix a connu pareille cavalcade une trentaine d’années
plus tôt. Mais « Victor Vaissier va lui donner de la démesure. Sa cavalcade est
plus grande que la caravane du Tour de France et tout cela sans Internet.
L’événement reste légendaire et, ce jour-là, tout explose. »
La savonnerie du Congo d’abord. Car si Victor Vaissier
organise cette fête au profit des plus démunis, elle sert avant tout ses
affaires. Les chars publicitaires « exaltent les parfums de ses savons tout le
long du défilé ».
L’extravagance de ce singulier industriel également. « La
cavalcade va être une incarnation de l’univers du Congo, une incarnation
commerciale – sur tous les produits cosmétiques, il y aura désormais écrit
Congo – avant de devenir une incarnation privée, avec la construction quelques
années plus tard du château Vaissier, son palais du Congo. »
L’industriel est décrit comme un grand enfant, un génie fou.
Victor Vaissier « a souvent été caricaturé. C’était un homme beaucoup plus
complexe, un vrai homme d’affaires comme en connaissait Roubaix à l’époque. On
le disait même très vindicatif quand il s’agissait de défendre ses produits :
il a fait de nombreux procès pour contrefaçons. C’était un industriel efficace
et dynamique, avec un côté mégalo aussi. Il détourne ce qui existe pour le
pousser à son paroxysme, à l’américaine : la cavalcade comme la publicité
versifiée ». Tous les jours, des années durant, des journaux publient des
poèmes publicitaires.
« Victor Vaissier est un amplificateur. » Ce qui n’est pas
du goût des grandes familles de Roubaisiens voisines. Celles-ci tentent de
faire interdire la cavalcade. « C’est absolument contraire aux pratiques
industrielles de l’époque. C’est très grand, voyant, un comportement de nouveau
riche. »