Patrimoine disparu

Patrimoine disparu : les confettis du palais du Congo à Tourcoing.

Un article de Sébastien Bergès dans la Voix du Nord du jeudi 2 mai 2024, dans la série T’as de beaux restes.



Parmi les objets exposés à La Piscine, des cartes postales représentant le palais de Maharaja que Victor Vaissier a fait construire à Tourcoing.


Voici ce qu’il en reste aujourd’hui, rue de Mouvaux.

 

Ils sont perdus au détour d’une rue, cachés dans le recoin d’un square.   Des vestiges parfois insolites d’un patrimoine disparu, vieilles pierres orphelines sauvées de la destruction, mais pas toujours de l’oubli. Aujourd’hui, les restes du palais du Congo à Tourcoing.    

    

HABITER.


La première fois, on se pince. Briques vernissées bleues, ardoises multicolores, fenêtres aux circonvolutions ensorcelantes. Est-on vraiment dans la rue de Mouvaux, à Tourcoing ? Ou dans une version nordiste des Mille et une nuits ? Réponse : les deux à la fois.


Le palais est rasé en 1929, moins de quarante ans après sa construction.  


Ces deux petites bâtisses extravagantes, séparées par un rang de maisons mitoyennes, ponctuaient il y a un siècle les frontières d’un domaine fabuleux. Un parc de cinq hectares dominé par un château de contes, un Xanadu ch’ti, une folie mégalo : le palais du Congo.


1889. Le capitaine d’industrie Victor Vaissier (1851-1923) a 38 ans et un sens aigu du marketing. Parvenu à la tête de la Savonnerie des nations fondée par son père, il a tôt fait de renommer l’entreprise en Savonnerie du Congo. La promesse d’exotisme fait mouche. Le « savon des princes du Congo », made in Tourcoing, fait un tabac.


De nos jours, les magnats trop riches pour leur bien se paient Twitter ou un billet pour l’espace. Vaissier, qui organise dans les rues de Roubaix des « cavalcades du Congo » et ne dédaigne pas se déguiser en « roi Makoko », opte lui pour une maison. Mais une maison à sa démesure, qui serait aussi une réclame géante pour sa société.

 

Le fantasme du roi Makoko


Pour donner vie à ses fantasmes orientalistes, le patron s’en remet à l’architecte roubaisien Édouard Dupire-Rozan, qui puisera son inspiration dans l’Inde des maharajas plutôt que dans l’Afrique des colonies, un peu chiche en matière d’ostentation (on est 80 ans avant le Wakanda).


Le château Vaissier est terminé en 1892. Son dôme extraordinaire fait pièce aux noires cheminées des usines. Le vestibule de 100 m² ouvre sur un festival d’éclectisme, salle à manger indienne, boudoir japonais, salle Renaissance pour les enfants… Les cartes postales du palais du Congo consacrent sa renommée. Et celle de la marque de savon.


Mais Xanadu ne survivra guère à Vaissier. À sa mort, sa veuve cède le château à l’homme d’affaires et de spectacles Jean Deconynck, créateur du Fresnoy. Le palais est rasé en 1929. Moins de quarante ans après sa construction. Le domaine, vendu à la découpe, est gommé du paysage. À l’exception de ses deux pavillons de la rue de Mouvaux, celui du jardinier et celui du concierge. Les ultimes échos du Congo d’opérette du roi Makoko.