La mode de l'exotisme


Le Nord-Pas-de-Calais se tourne, dès le milieu du XIXe siècle, vers les outre-mers. De nombreuses marques d’industrie adoptent une identité ultra-marine et entreprennent de vendre rêves et horizons lointains. La société Vrau lance son « Fil au Chinois » ; l’amidon de Valenciennes se trouve une « mascotte créole » ; les parapluies d’Arras convoquent sultanes et beautés orientales. Les Suds sont partout, dans la presse, les affiches murales et les réclames commerciales. 

Dans le Nord, l’exotisme est associé à un nom : Victor Vaissier. Dès 1887, il organise des cavalcades mettant en scène le prince du Congo, emblème de sa marque La Savonnerie du Congo. En mars 1887, à Roubaix, défile une Afrique fantasmée au service du « roi Makoko », incarné par Victor Vaissier lui-même. Mais c’est sa résidence qu’il nomme le Palais du Congo, construite en 1892, qui marque l’opinion et laisse les observateurs stupéfaits par l’ampleur de sa réalisation. 

La région se tourne également vers l’Empire par d’autres voies, avec par exemple la création à Lille, en 1853, du Musée industriel et commercial et des colonies (puis Musée commercial et colonial en 1884). Ainsi se forme une culture coloniale faite de curiosité pour l’exotisme, de passion pour l’Ailleurs, dans laquelle les représentations du « sauvage » et du colonisé dessinent les contours de l’appréhension inquiète de l’altérité. 

Au même moment les premiers travailleurs kabyles arrivent dans les centres textiles de Roubaix ou houillers de Valenciennes ; et les premiers vendeurs ambulants ou dockers africains et asiatiques sont présents dans toute la région et sur le littoral comme à Dunkerque. L’histoire des immigrations coloniales de travail commence alors. À la suite de la série de catastrophes — et plus spécifiquement celle des Mines de Courrières en 1906 où meurent plus d’un millier de mineurs —, ils sont quelques centaines à travailler dans le bassin minier et la Sambre industrielle. Les centres miniers du Valenciennois, de Courrières, d’Anzin, de Liévin et de Drocourt, les villes de Roubaix, Tourcoing ou Maubeuge accueillent ces « primo-émigrés » qui préfigurent les filières d’émigration des travailleurs maghrébins de la génération des années 50-60. 

Extrait de : " 1870 - 2008, Nord Pas-de-Calais porte des suds "




De nombreuses autres savonneries utiliseront cet exotisme


La Société Continentale du Cosmydor, " basée " comme il se doit à Paris (mais c'était presque vrai car implantée au 71-73 rue Rivay à Levallois) a commercialisé, sous la référence n° 2398, un savon des explorateurs de Brazza.

Paul Tranoy, qui avait lui aussi une savonnerie à Tourcoing, proche de celle de Victor Vaissier, avait lancé une gamme concurrente. Sous le nom des princes du Cachemire et de princes du Caucase  il s'agissait de combattre avec les mêmes armes ... Charles Lequenne , lui aussi savonnier à Tourcoing, se contentera des princes du Nord !



Paul Tranoy revendiquait de ne pas faire de publicité afin de garantir des prix réduits. Sa fabrication était répartie dans deux usines à Tourcoing et à Mouscron (en Belgique juste de l'autre côté de la frontière). On retrouve dans les documents administratifs, tout comme sur certains emballages, la traditionnelle et quasi obligatoire référence à la capitale.



La Société Maubert, elle aussi " basée " à Paris, avait choisie les princes du Pamyr pour ses savons et ses parfums.


L'exotisme ne s'embarrassait pas de précision, d'ailleurs qui connaissait ces contrées lointaines. Le savon pur du prince de Yeddo perdait une lettre pour devenir le savon Royal Yedo n° 372, mais toujours à Paris. Il fallait une identification rassurante avec le nom de la capitale française accolé aux termes les plus inconnus et forcément mystérieux. 



Tout cela ne serait finalement que de la poudre aux yeux ! Une publicité (ci-dessous) pour le savon Tatiana évoquant l'Illusion absolue ...

L'Illusion absolue !

Un savon se devait d'être noble ...


Tout comme pour les princes, les maisons concurrentes de Victor Vaissier utilisaient la même terminologie.


Comme si cela ne suffisait pas d'être l'objet de toilette d'un prince d'un pays lointain, certains savons se revendiquèrent de titres nobiliaires plus élevés et tant qu'à faire pourquoi ne pas être royal. 




Cette autre étiquette (ci-dessous) réunissait l'exotisme et la royauté, pour un savon dit de la Reine de Saba.