Pub et réclame


On peut considérer Victor Vaissier comme un super-communiquant. Bien avant l'heure il avait inventé le street marketing avec les cavalcades, on peut le qualifier de roi de la publicité dont il avait compris l'importance alors que tout un chacun faisait encore de la réclame.

Commençons par découvrir comment Victor Vaissier était parvenu à obtenir qu'à toute occasion on évoque les fabrications de son entreprise.


Depuis le début des années 1880 jusqu'à l'Exposition universelle de 1900, il est paru dans plusieurs titres de la presse parisienne un poème quotidien, un poème chaque jour différent vantant le Savon du Congo. 

Six mille poèmes environ procurés par des rimeurs bénévoles et anonymes (mais qui dit que Mallarmé ou Verlaine n'ont pas envoyé quelque jour leur quatrain ?) à la gloire de ce savon parfumé produit à Roubaix par la Savonnerie Vaissier Frères puis, à partir de 1883, sous la raison sociale Savonnerie du Congo et sous la propriété exclusive de M. Victor Vaissier, grand amateur de publicité poétique.


Merci à André Bianchi, du Lot et Garonne, qui nous a fait découvrir Antony Tozy (1852-1911).


Par ailleurs il nous informe que Victor Vaissier et sa famille auraient des origines occitane du Cantal.

Antony Tozy était un écrivain occitan qui a publié en 1887 des quatrains où il évoque le savon du Congo. Ces vers ont été découverts dans un journal manuscrit (dont il n'existe qu'un seul exemplaire) qui a été écrit entre 1884 et 1890. Un ouvrage édité par l'association des amis du vieux Nérac va paraître à ce sujet.



Recommandé aux canotiers

Si vous voulez éviter que la rame
Ou l’aviron n’éraille votre peau,
Un bon conseil vaut mieux que la réclame
Savonnez-vous au savon du Congo.

Réclame

Dieu soit loué, la pêche a fait progrès.
Or donc, pêcheur qui n’en prenez jamais,
Si vous voulez des poissons gras et gros,
Appâturez au savon du Congo.

Réclame

Si du soleil je brave la [morsure]
Lorsque tant de pêcheurs vont se griller [la peau] (?)
C’est que, le matin, je frictionne [ma figure] (?)
À l’élixir des princes du [Congo].

Réclame

Tout, ici-bas, ne sentant pas la rose
Un bon pêcheur doit, avant toute chose,
Pour éviter l’odeur des asticots,
Se parfumer aux princes du Congo.
  
Réclame
                  
Si, quelque fois, on voit un pêcheur sans vergogne,
Impassible, rester du matin jusqu’au soir,
Pêchant au près d’une charogne,
C’est que l’eau du Congo parfume son mouchoir.













Voici quelques autres exemples de l'œuvre poétique du Savon du Congo

EDÉNIQUE :

Madame Ève en quittant le divin paradis,
Oublia nous dit-on fards et poudre de riz,
Des présents du serpent ! Car la gentille blonde
Savait qu'un jour Vaissier rajeunirait le monde
Et qu'inspiré soudain d'un souffle du Très-Haut
Il inventerait le doux Savon du Congo.

La Lanterne, 12 octobre 1889.

HOMÉRIQUE :

Elle avait les bras blancs comme le lait d'Io
Le teint comme les lys et les roses d'Hymette.
Si vous voulez avoir cette beauté parfaite
Lavez-vous tous les jours au savon du Congo.

Gil-Blas, 22 novembre 1894.

BIBLIQUE :

Lorsque la Putiphar d'humeur assez joyeuse
À l'excellent Joseph arracha son manteau
Ce n'était pas du tout par fureur amoureuse,
Mais la belle y sentait des savons du Congo.

Gil-Blas, 2 février 1887.

MÉROVINGIEN :

Clovis, ce roi poilu, n'en déplaise à l'Histoire
Ce païen ne fut converti
Que lorsqu'on lui promit pour pâte épilatoire
du Savon du Congo
Un Savon du Congo conçu par Saint Rémy.

La Lanterne, 29 novembre 1886.

MÉDIÉVAL :

Va, mon page charmant à la ville prochaine,
Tu combleras les vœux d'Yseut, ta châtelaine,
Si pour rendre plus doux nos trop courts entretiens,
Du célèbre Congo tu rapportes deux pains !...

Gil-Blas, 2 octobre 1889.

RACINIEN :

Ma mère Jézabel devant moi s'est montrée
De ses riches atours pompeusement parée
« Ma fille, a-t-elle dit, si je sors du tombeau
Belle encor comme au jour heureux de mon jeune âge
C'est que pour réparer des ans le triste outrage
J'ai toujours employé le Savon du Congo. »

Gil-Blas, 7 février 1887.

BONAPARTISTE :

Victor Vaissier, Napoléon
Sont deux hommes d'égale taille,
L'un s'illustra par son savon
L'autre sur le champ de bataille.


Le Petit Parisien, 10 mars 1895.

CYRANESQUE :

Oui, c'est mon odorat qui me guide en ce monde,
Avant de m'engager envers brune, envers blonde,
Je me penche, je flaire et je sens si la peau
De la belle a parfum des Savons du Congo.

Le Petit Parisien, 29 novembre 1889.

PROPHYLACTIQUE ET POSITIVISTE :

Pasteur a découvert récemment le microbe
De la malpropreté ; mais fort heureusement
Le Savon du Congo tue infailliblement
Et très vite toujours cet insecte hydrophobe.

Le Petit Parisien, 24 février 1895.

BOULEVARDIER :

1 du Savon du Congo
Casino-de-Paris, Moulin-Rouge, Opéra,
Que de bals, de soupers, de redoutes joyeuses,
Où sur le blanc satin des gorges savoureuses
L'arôme du Congo -- doux encens -- flottera.

Gil-Blas, 16 janvier 1893.

TAUROMACHIQUE :

Dans l'arène où l'on vient d'égorger le taureau,
La foule, ivre de sang, fête Lagartijo,
Et l'enthousiasme est tel qu'on jette des drapeaux,
Des gants et des mouchoirs parfumés au Congo !

Gil-Blas, 8 juillet 1889.

PÉDAGOGIQUE :

J'enseigne à mes enfants le goût de la toilette
Et de la propreté : je leur fais des leçons
Sur votre exquis Congo, le meilleur des Savons
Dont l'enivrant parfum met tous les nez en fête.

« Un Instituteur », La Lanterne, 18 janvier 1892.

AGNOSTIQUE :

On a dit quelquefois : « La vertu n'est qu'un mot »
Car l'homme a tout nié, Dieu, la femme et lui-même,
Si ce n'est les douceurs du Savon du Congo
Qui trouva devant lui grâce et succès quand même !

Le Petit Parisien, 26 septembre 1885.

PROGRESSISTE :

Marche ! dit le progrès, s'arrêter c'est mourir.
Aux classiques secrets de l'antique routine,
Succède le Congo, cette essence divine,
Qui, les surpassant tous, nous défend de vieillir.

La Lanterne, 13 juin 1889.

ÉGALITAIRE :

Plus de castes, plus de noblesse,
Que tous les hommes soient égaux !
Élégance, fraîcheur, jeunesse,
Voilà tes bienfaits, ô Congo.

La Lanterne, 4 août 1889.

CARNAVALESQUE (en hommage anticipé à Mikhaïl Bakhtine):

Mi-Carême, ton lendemain
Me trouva noir, -- j'étais déguisé couleur nègre !
Cependant au bureau je fus d'un pas allègre,
Le Savon du Congo m'avait rendu mon teint.

Le Petit Parisien, 1er avril 1889

APOCALYPTIQUE :

Au jugement dernier, quand s'ouvriront les cieux,
Quand sonneront partout les célestes trompettes,
du Savon du Congo
On sentira l'odeur des douces savonnettes
Du Congo, c'est l'encens que préfèrent les dieux.


La Lanterne, 24 mars 1889.

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" C'est à la gloire donc de ce Savon aux vertus éminentes dont le rôle dans le décrassage et l'hygiène parfumée de la France (et de l'Europe) apparaît fondamental au tournant du siècle, dans le passage d'une société de puanteur négligée à la société de savoir-vivre olfactif, que se dresse entre 1880 et 1900 le monument poétique quotidien dont nous avons entamé l'analyse. On constate en effet qu'après vingt années ou presque, vers 1897, 1898, l'inspiration du Congo se fait soudain moins abondante, plus erratique. Bientôt, du vers il retombera dans la prose... 

Une explication quantitative se laisse suggérer : tout est dit et l'on vient trop tard après six mille poèmes sur un sujet unique, si riche de suggestions et de connotations que celui-ci ait pu d'abord paraître. Avant d'aborder au siècle où nous sommes (de l'affreux prosaïsme duquel le Congo eut peut-être la prescience), le Savon du Congo meurt à la poésie, sans du reste que la courbe de ses ventes ne vienne sanctionner une telle désertion. "

Et bientôt ce sera aussi le Château Vaissier qui connaîtra la disgrâce, non sans auparavant avoir été élevé au rang de défenseur de la Nation :

" On nous assure que le ministre de la Guerre vient de publier une circulaire dans laquelle il recommande que chaque civil, appelé sous les armes, soit muni au préalable d’un flacon d’élixir du Congo et cela afin de conserver la fraîcheur du teint aux soldats qui rentrent méconnaissables dans leurs foyers.  "