Savons et parfums



Si le succès de la savonnerie du Congo est due au savoir faire d'un homme clairvoyant et dynamique, certaines circonstances l'ont favorisées. A l'époque l'industrie textile, très présente dans le Nord de la France, est une grande consommatrice de savons. En effet après avoir été triées, les laines doivent être lavées et dégraissées pour être débarrassées de leur suint. Pour fabriquer les savons industriels on emploie des graisses d'origine animale (graisse d'os et de suif) ou d'origine végétale (lin, coprah, palme) en réaction avec de la soude ou de la potasse comme cela se pratique depuis plus de 2 000 ans. Pour la fabrication de savon solide, c’est la soude (hydroxyde de sodium) qui est utilisée. La potasse (hydroxyde de potassium) sert à la production de savons pâteux ou liquides (savon noir, savon de Marseille liquide).


La progression des théories hygiénistes coïncidant avec les progrès de la chimie, un nouveau créneau s'ouvre aux savonniers qui peuvent s'orienter vers la fabrication des savons à usage domestique. Poursuivant dans cette direction Victor Vaissier ajoutera la parfumerie à son activité de savonnerie. Parfums et savons bénéficieront de la découverte des molécules de synthèse comme la vanille en 1874, puis l'Ionone à l'odeur de violette, par Wilhelm Haarmann en 1893. 


Le parfum à la violette

La Violette est utilisée depuis l'Antiquité pour ses nombreuses vertus notamment médicinales. En effet, les Romains avaient pour habitude de tresser des couronnes de Violettes odorantes pour effacer les crises de migraines. Adoucissante et calmante, les fleurs sont utilisées pour adoucir la voix ou soulager la toux.

La Violette connaît ses heures de gloire au 19ème siècle grâce, dit-on, à un jeune soldat venu d’Italie avec des plants de Violettes de Parme. Il décide alors de cultiver cette fleur dans sa région natale, la région toulousaine. Très vite, la ville de Toulouse se spécialise dans cette production. On cristallise même ses fleurs pour en faire une célèbre confiserie qui fait, aujourd'hui encore, le bonheur des petits et des grands gourmands.

En parfumerie, la Violette est également très utilisée. L'absolue obtenue à partir de ses feuilles possède une odeur fraîche, très herbacée légèrement fleurie très différente de l'odeur des fleurs que nous avons l'habitude de sentir et qui est obtenue généralement par synthèse.

En plus d'apporter ses notes d'herbe fraîchement coupée, l'absolue de feuilles de Violette est très souvent employée comme nuanceur. C'est-à-dire qu'elle soutient en même temps qu'elle arrondit les notes principales d'un parfum.

La gamme des savons et lotions Victor Vaissier parfumés à la violette

La gamme des savons et lotions Victor Vaissier parfumés à la violette est impressionnante. La terminologie l'est tout autant. On trouve des violettes de différentes origines géographiques, souvent bien plus imaginaires que réelles.





Elles proviennent de Cannes, de Naples, de Parme, de Turquie, de Samos, du Japon, du Congo ou des Indes ... mais aussi d'une période de récolte, comme Pâques !



Parfois c'est un nom exotique qui est accolé comme Tatiana. 

Les qualificatifs attachés à ces fleurs sont d'une grande richesse évocatrice d'un domaine éthéré.

Elles sont vivantes, mystérieuses, brassées, rêvées, exquises, immortelles, préférées, aimées ... Quant la violette devient parlante c'est au singulier sans doute pour éviter l'ivresse des mots !








Victor Vaissier appréciait beaucoup le parfum violette et il avait incorporé dans ses savons, dès 1893, le produit chimique de synthèse Ionone, nouvellement découvert par Wilhelm Haarmann. Ce liquide jaune pâle clair possédait une odeur boisée, sèche, fruitée avec parfums de framboise et de violette.

Ci-dessous la traduction de deux annonces parues, en 1892, dans le Journal « Le Nursing :

" SAVON DES PRINCES DU CONGO (Victor Vaissier, Paris et Roubaix). Ces exquises fabrications, qui sont bien en accord avec la haute réputation de M. Victor Vaissier, sont peut-être les savons les plus beaux et les plus soigneusement préparés que nous ayons eu à examiner et tester. Ils sont fabriqués avec un extrait de parfum simple, double ou triple. Chaque galette est donc délicieusement parfumée. Ce savon est remarquablement exempt de tout ce qui est susceptible de nuire à la peau. Il laisse une agréable sensation adoucissante après usage. "

" Extrait du CONGO au LILAS BLANC '' (Monsieur Victor Vaissier, Paris et Roubaix). Ce parfum est un véritable extrait de lys, il est remarquablement délicat et durable. Il convient admirablement pour ces malades qui sont fatigués d'utiliser de l'eau de Cologne et de l'eau de lavande. Il complète les parfums habituels déodorants. Dilué avec de l'esprit ou de l'eau, et utilisé en spray, ses effets seront appréciés. "


Le flaconnage

On le sait peu mais la quasi totalité des flacons de parfums vendus dans le Monde entier sont actuellement fabriqués en France sur trois sites de production : l'un dans l'Orne à Ecouché (créé par Dior en 1958) et Argentan, un autre en Seine Maritime dans la vallée de la Bresle (Aumale et Blangy) où se perpétue une vieille tradition industrielle remontant au Moyen-Age puisque c'est ici que furent inventés les premiers verres plats dès le XVe siècle ! Il faut citer aussi le site de Saint Gobain à Mers-les-Bains qui produit les flaconnages haut de gamme.




La réputation de Victor Vaissier était internationale et il attachait un soin particulier à ses productions. Certaines bouteilles de parfum Victor Vaissier ont été produites par Baccarat. Toutefois nous allons le voir, la production des parfums par Victor Vaissier coïncide avec l'arrivée sur le marché d'une masse de flacons à décor en relief, en verre soufflé, produits à bas prix et en très grande quantité. 



De ce fait, nous le détaillerons plus loin, l'étiquette étant toujours le seul indicateur du contenu, elle va devenir toujours plus complexe et riche alors que les flacons s’uniformisent. 





En réaction à ces récipients redevenus très simples, l’Art Nouveau va apporter un complet renouvellement des formes. 

L’importance croissante de l’étiquette au début du XXe siècle va entraîner une certaine uniformisation des récipients en verre, jusqu’au moment où les recherches de l’Art nouveau apportent un complet renouvellement des formes dans l'étiquette, mais surtout dans le flaconnage. 





Ce courant remporte un fantastique succès à un moment où le parfum commence à se démocratiser. Il est marqué par une exubérance dans l’ornementation, une sublimation de la nature, un amour de l’asymétrique, un goût pour les modèles orientaux et japonais, des lignes courbes qui servent un nouveau culte de la femme et une recherche systématique de l’arabesque, symbole de la spiritualité orientale et extrême-orientale.



Ses grands créateurs seront notamment Guimard, à la fois architecte, sculpteur et dessinateur d’intérieur, et Lalique. A l’occasion de l’Exposition Universelle de 1900 à Paris, le premier conçoit pour le parfumeur Millot, un flacon en verre moulé, aux lignes sinueuses et asymétriques qui lui confèrent une esthétique totalement novatrice. Lalique, quelques années après, collabore avec François Coty, qui modifie profondément les habitudes de la parfumerie traditionnelle. L’Art déco, quant à lui, s’inscrira en réaction contre les formes baroques et lyriques, avec une recherche de modèles épurés, volontiers géométriques.



Il faut attendre la seconde moitié du XIXe siècle pour que les parfums soient commercialisés dans des flacons spécialement créés pour eux. C’est le début des grandes maisons de parfumerie. L’innovation permanente dans le domaine des parfums va susciter une collaboration étroite entre le créateur et le verrier.

L'apport de la chimie

Nous l'avons vu précédemment avec la découverte de l'Ionone, la chimie va apporter un bouleversement dans l'industrie de la parfumerie. A partir de 1874, lorsqu’un chercheur allemand réussit à obtenir le principal composant de la gousse de vanille de façon synthétique. La parfumerie connait une véritable révolution : l’arrivée de la synthèse. Elle a d’abord permis d’imiter ou de renforcer les fragrances des matières premières naturelles avant d’apporter aux parfumeurs des notes inédites et disponibles par la suite à des prix plus intéressants. Au début du XIXe siècle, la boutique du parfumeur est encore concurrencée par l’herboristerie et l’apothicairerie. Mais elle l’est déjà aussi par les premiers grands magasins, tels Le Bon marché ou Les Grands magasins du Louvre qui inspireront à Zola son roman Au Bonheur des dames.

Ces conditions réunies (avec un flaconnage et des produits peu coûteux), un industriel ayant le sens de la publicité pouvait, dans ses conditions, développer rapidement sa production de parfums, c'est ce qu'avait compris Victor Vaissier. Ce qu'il avait fait pour les savons en se diversifiant et s'affranchissant des produits de base destinés à l'industrie textile, il allait l'amplifier en surfant sur la mode hygiéniste en y ajoutant une touche exotique presque luxueuse.

L’étiquette, longtemps porte-parole du parfum

L’étiquette a joué longtemps un rôle majeur dans la promotion du parfum. Alors que les flacons demeuraient sages ou, comme au milieu du XIXe, se faisaient plus exubérants dans leur forme, tout en n’étant pas encore spécifiques à une maison de parfums, c’est à l’étiquette qu’il revenait de « vendre » le jus à l’intérieur du contenant.


Le design des étiquettes permet de dater très précisement la fabrication en se référant à la mode de l'époque (classique, néoclassique, art nouveau, art déco, moderniste, rétro ...)



C’est donc longtemps sur la surface réduite de celle-ci que se sont exprimés les talents des illustrateurs et typographes pour évoquer l’odeur que réservait le parfum. Mais sa surface ne va bientôt plus suffire.

De la réclame à l’affiche

Si le début du XIXe voit naître la réclame, la publicité et donc l’affiche, les véritables débuts de la publicité se situent à la fin de ce siècle, quand une révolution commerciale accompagne la révolution industrielle.


La réclame a déjà annexé le monde des petits objets, et notamment des éventails pour les produits parfumés. L’affiche, elle, apparaît vers 1830 ; époque où sont produites les premières affichettes de parfumerie. La chromolithographie (cinq exemples ci-dessus) permettra une diffusion à grande échelle d'images stéréotypées. Vers 1870, les techniques de communication cessent d’être artisanales et suivent un marché international.



En France, elles s’adaptent à de nouveaux supports : le mur et les colonnes d’affichage. On imprime donc des affiches pour l’extérieur, de plus en plus grandes et résistant à la pluie.



Vers 1910, la publicité des parfums se diversifie et l’affiche disparaît pendant près d’un siècle, au profit de l’annonce presse, à grand renfort d’illustrateurs fameux.